Paul-Louis Merlin (1882-1973)
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Ingénieur des Arts et Métiers Aix 1898
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Industriel
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Médaille d’or de la Société Président d’honneur du Groupe des Alpes Dauphinoises
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     Paul-Louis Merlin, Président-Fondateur des Établissements Merlin Gerin, a, par sa forte personnalité et durant un demi-siècle, marqué l’économie Grenobloise et donné à son entreprise une dimension Européenne.

     “J’ai toujours eu de la chance”... se plaisait-il à dire en toute modestie. À quinze ans, sur les conseils de son instituteur, il présente le concours d’entrée à l’École Nationale d’Ingénieurs d’Arts et Métiers et le réussit. Benjamin de sa promotion, il sort diplômé à dix-huit ans et restera toute sa vie, marqué par sa formation de Gadz’Arts.

     Paul-Louis Merlin débute dans l’industrie comme ingénieur au Métropolitain de Paris. Brève expérience. Il revient au pays comme ingénieur dans une société “La Romanche” dont les activités sont liées au développement de la “Houille Blanche”. Excellent tremplin pour devenir Directeur Technique des Établissement “Maljournal-Bourron” qui, à Lyon fabrique de l’appareillage électrique. Découvrant les perspectives de ce marché qui se développe, Paul-Louis Merlin décide à son tour avec un de ses amis Gaston Gerin (Aix 05), de fonder une entreprise du même genre qui portera leur nom. Les Établissements Merlin et Gerin sont crées à Grenoble le 1er Janvier 1920. Les effectifs annoncés sont d’une vingtaine de personnes. La grande aventure commence pour les deux associés.

     Pour brûler les étapes qui conduisent au plus haut niveau, Paul-Louis Merlin, ingénieur clairvoyant, prend conscience du poids de la recherche et de la valeur des techniques d’avant-garde. Mais aussi de la dimension humaine de l’entreprise qui ne vaut que par l’engagement des hommes qui la composent. Quarante-cinq ans durant, entouré d’une équipe d’hommes qu’il a su choisir pour leur compétence professionnelle, il conduira la firme d’une main sûre. Quarante cinq ans marqués par la recherche, l’innovation, mais aussi le sens de l’Homme, le goût de la compétition et de la réussite, l’engagement social et civique.. Les vingt compagnons du départ ont ouvert la voie aux 8000 personnes dont 800 ingénieurs rassemblés, en 1973, dans les onze usines de l’entreprise.

     Peut-on ne parler que de chance ? Car de plus, à coté de la réussite industrielle, Paul-Louis Merlin s’intéresse au devenir de sa ville et de sa région. Rappelons quelques uns de ses engagements :

Et quelques unes de ses distinctions qui l’avaient fait :

 

 

     Il disait aussi :”J’ai toujours été jeune !...” De fait, la verdeur physique et intellectuelle qu’il conserva jusque dans son grand âge étonnait. Elle lui permit cette curiosité et cette ouverture d’esprit qui furent probablement les qualités maîtresses de ce bâtisseur. Il fut de la race des hommes qui saisissant des idées les transforment en actes. Rarement, un homme a su amalgamer avec autant de bonheur : disponibilités aux idées novatrices, goût d’entreprendre, capacité à dynamiser une équipe, passion à réaliser une oeuvre.

     Mais le montagnard qu’il était, fidèle à sa région, n’oubliait pas ses origines modestes. Fils d’un simple artisan (son père était coiffeur) il avait eu la chance de faire des études d’ingénieur. Ceci explique probablement, l’action prépondérante qu’il prit dans la création de la Promotion Supérieure du Travail, et l’attachement qu’il porta à son titre d’Ingénieur, pour lequel il milita activement, en présidant le Groupe des Alpes Dauphinoises et en fondant l’Union des Ingénieurs du Dauphiné.

     Paul-Louis Merlin a été sans doute une des personnalités qui ont le plus puissamment illustré le dynamisme régional et incarné l’audace industrielle de Grenoble au milieu du XXème Siècle.

 

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     Pourtant, à la dimension officielle (exacte mais trop policée) il serait opportun d’apporter la dimension anecdotique (moins convenue mais plus humaine). Qui parlerait du personnage plutôt que de la personnalité. L’un n’allant pas sans l’autre. Qui parlerait de l’acteur principal de cette aventure industrielle et le rendrait plus proche de nous (Gadz’Arts...).

     Bien sûr, il avait eu de la chance ! Une seule... Celle de conserver toute sa longue existence une extraordinaire vitalité, avouant sans ostentation apparente : “À deux ans, je tétais ma nourrice debout ! “ Pareilles réflexions à l’emporte-pièce (pas toujours aussi bénignes), dessinaient le personnage autant que ses enthousiasmes ou ses emportements dont il s’excusait (après...) s’ils s’avéraient injustifiés. Ces comportements hors-normes en surprenaient plus d’un. Mais la réussite indubitable étant là...

     Il racontait volontiers ses débuts d’étudiant. Aux Arts et Métiers, où sa spécialité de “flaquard” (forgeron) lui valait de cuisantes ampoules aux mains, et ses foucades d’adolescent lui attiraient les foudres “d’Attila” le surveillant-chef. Mais aussi ses débuts dans la vie professionnelle, son emploi au Métropolitain qui lui procurait un salaire mensuel de 270 francs-or. “Vous jugez ce qu’un jeune homme ardent et bien fait pouvait faire en 1903 à Paris, avec une pareille somme ...” Au point que son père affolé mit fin à cet épisode parisien en le ramenant au bercail Grenoblois. Où son premier travail fut de piqueter la future ligne Haute Tension entre Livet et Grenoble. Enfin son passage - décisif - aux Ets Maljournal-Bourron , son “explosion” derrière une planche à dessin, et sa découverte du terrain où il pourrait exercer son dynamisme : la technique et la production.

     Mais ses confidences s’arrêtaient à la porte de ses entreprises. Là où justement commençait la tradition orale des ateliers. Les ouvriers de la première heure racontaient les descentes en bourrasques de ce jeune patron qui sur les lieux de production promenait son chapeau melon, son noeud papillon et sa blouse d’atelier jaune poussin. Ils racontaient aussi que, dans les périodes difficiles, le dimanche, aidé par ses deux fils, il clouait sur les quais d’expédition les caisses d”emballage, activant ainsi leur livraison, donc leur facturation. Et comment il s’était fait usiner de petites haltères pour sa gymnastique quotidienne qui se terminait toujours par une séance de corde à sauter (gênante pour le voisinage quand il logeait dans les hôtels...)

     En revanche lors des périodes de tensions sociales ou autres, inhérentes aux entreprises, il évacuait ses excès de vitalité, trop longtemps refrénés, en rentrant chez lui le soir au pas de course (après avoir échappé à son chauffeur qui connaissant cette habitude, le suivait discrètement à distance). Ou bien arrivé dans sa” vieille maison” , il retournait d’une bêche rageuse le premier carré de son potager qui se présentait (même fraîchement ensemencé par son jardinier...).

     Mais plus paisiblement, quand il faisait beau et si les obligations professionnelles le lui permettaient, il circulait à bicyclette et au retour du milieu de journée, il achetait chez le boulanger une baguette de pain qu’il ficelait sur le porte-bagage de son vélo. Comme dans ses circonstances, il portait souvent le béret, le cliché du Français moyen n’était pas loin...

     Sa toute dernière apparition en public date de la célébration du Cinquantenaire de sa Société. Folle équipée qui, dans cinq trains spéciaux venant de Paris, Marseille et Grenoble, convoya 3200 participants à Lausanne pour un gigantesque repas servi sous une tente au bord du Lac. Cette colossale entreprise, menée à bien par les Anciens Mergers, défraya la chronique locale Suisse. Une gazette tira de cet événement une édition spéciale. À l’heure des discours, Paul-Louis Merlin, Président-Fondateur de la Société éponyme, bondit sur le podium affublé d’une perruque à long cheveux en brandissant une guitare... C’était l’époque “yé-yé” où des cheveux longs et trois accords plaqués sur une guitare suffisaient pour réussir dans la chanson. Lui aussi avait réussi. Dans un autre registre : à quatre-vingt-huit ans, il restait encore jeune...

Texte écrit à partir d’articles de la Revue Arts et Métiers de Juin 1973, d’articles du périodique “Alpes Gadz’Arts” de 1948 à 1950, et de journaux d’entreprise de la Société Merlin Gerin.